Aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale vit en milieu urbain, ce mode d’habitat devrait continuer à croître drastiquement dans un horizon relativement proche. A l’échelle de l’Hexagone, on estime que 90% des français devraient être urbains à la moitié du siècle.
Cette évolution, intimement liée à la démographie et aux évolutions sociétales, a pour conséquence directe un besoin pressant de logements, abordables, pour répondre aux nécessités de la population.
En France, la crise du logement continue de s’aggraver, notamment dans les zones tendues où les prix de l’immobilier ont augmenté de 140% en vingt ans. En 2022, on estimait à 4 millions le nombre de personnes mal logées ou sans domicile fixe, et près de 2 millions de ménages toujours en attente d’un logement social.
L’importance du logement dans la dignité humaine fut d’ailleurs soulevée par Victor Hugo qui affirmait en ces termes : “Il y a un droit supérieur à tout, et c’est celui de vivre. L’habitation est l’élément fondamental de la vie humaine.”¹
Eu égard à l’impératif de garantir un logement décent à ses citoyens, le législateur a consacré, en 2016² un dispositif appelé “Bail Réel Solidaire” (BRS), une formule d’accession à la propriété nouvelle en France. Le BRS a pour ambition d’offrir une solution durable au problème du logement abordable, en dissociant la propriété du bâti de celle du foncier.
Cette dissociation permet aux ménages d’accéder à un logement à un prix réduit, tout en garantissant la maîtrise du foncier à long terme par des organismes spécialisés, les Organismes de Foncier Solidaire (OFS).
La pratique notariale a depuis développé la rédaction et l’adaptation des actes permettant le déploiement de ce dispositif par les OFS et les collectivités locales qui souhaitent le promouvoir.
Le principe du Bail Réel Solidaire
Le BRS repose sur un principe simple mais innovant : les ménages acquièrent la propriété de leur logement, mais pas du terrain sur lequel il est construit. Ce terrain reste la propriété d’un OFS, qui le loue au ménage sous forme d’un bail de très longue durée (jusqu’à 99 ans). En contrepartie, les acquéreurs paient une redevance modeste à l’OFS pour l’usage du terrain.
Ce schéma permet de réduire considérablement le coût d’acquisition du logement, rendant ainsi la propriété accessible à des ménages aux revenus modestes et intermédiaires.
Les avantages du BRS
Si l’opportunité de recourir au BRS n’est plus à démontrer, c’est assurément parce qu’il est à la croisée d’intérêts convergents.
Accessibilité financière : Le principal avantage du BRS est la réduction du prix d’achat. En excluant le coût du foncier, qui représente souvent une part importante du prix de l’immobilier, le BRS permet aux ménages d’accéder à la propriété à un prix significativement inférieur au marché traditionnel.
Sécurisation du foncier : L’OFS, en restant propriétaire du terrain, garantit une maîtrise publique du foncier sur le long terme. Cela permet de maintenir des logements abordables sur plusieurs générations, même en cas de spéculation immobilière.
Durabilité sociale : Le BRS encadre la revente des logements. En effet, les conditions de revente sont strictement régulées pour éviter la spéculation et garantir que les logements restent accessibles à des ménages modestes. Le prix de revente est plafonné, ce qui permet de pérenniser l’accès au logement abordable.
Une solution contre la gentrification : Le BRS peut être un outil efficace pour lutter contre la gentrification, notamment dans les zones où la pression foncière est forte. En contrôlant le foncier, les OFS permettent de maintenir un certain équilibre social et évitent que les quartiers populaires ne soient totalement privatisés ou densifiés de logements de luxe.
Les enjeux actuels du Bail Réel Solidaire
Bien que le Bail Réel Solidaire présente des avantages indéniables en matière d’accès à la propriété pour les ménages modestes, sa mise en œuvre et son développement à grande échelle soulèvent plusieurs défis.
Montée en puissance et visibilité : Bien que le BRS soit un dispositif prometteur, il reste encore peu connu du grand public et sous-estimé par les collectivités publiques. Le principal challenge reste de convaincre davantage d’élus locaux et de promoteurs immobiliers de s’engager dans ce type de projets.
Accessibilité à long terme : Si le BRS permet effectivement d’accéder à la propriété à un prix réduit, il soulève néanmoins des questions sur l’accessibilité à long terme. En effet, bien que le modèle encadre le prix de revente, il est essentiel que ces logements restent accessibles sur plusieurs générations, surtout dans un contexte où la pression immobilière continue d’augmenter dans certaines régions.
Modèle économique des OFS : Le développement des OFS nécessite un financement initial important pour acquérir les terrains, et une gestion rigoureuse pour assurer la pérennité des projets. Les OFS doivent trouver un équilibre entre leur mission sociale et les contraintes économiques liées à la gestion des terrains et à la construction des logements.
Encadrement juridique : Le BRS est un dispositif particulièrement complexe qui nécessite une solide expertise juridique. La collaboration entre les OFS, les collectivités locales et les promoteurs immobiliers doit être parfaitemment structurée pour garantir la réussite des opérations et protéger les intérêts de chacune des parties sans que soient sactifiés les droits des accédants à la propriété. Par ailleurs, si l’on veut que ce schéma perdure, le cadre réglementaire du BRS devra aller vers le chemin de la simplification mais aussi évoluer pour s’adapter à certaines réalités et aux besoins des différentes parties prenantes.
Les enjeux du BRS dans la Métropole de Lyon
Le BRS commence à prendre de l’ampleur dans plusieurs grandes villes françaises, et la Métropole de Lyon est l’une des pionnières dans l’adoption de ce dispositif.
La Métropole de Lyon est l’une des zones les plus dynamiques et attractives de France, mais de facto elle subit une forte pression immobilière (région où le prix moyen du mètre carré dépasse fréquemment les 5000€), notamment dans des quartiers comme ceux de la Presqu’île, de la Part-Dieu, et à proximité des pôles universitaires.
La métropole lyonnaise dénombre quelques exemples concrets d’opérations de BRS qui renforçent l’idée que le BRS peut-être un vecteur de réponse aux défis locaux du logement abordable.
Le recours au BRS a permis de commercialiser au sein du quartier des Gratte-Ciel plusieurs dizaines de logements à des ménages sous conditions de ressources, à des prix réduits de 30 à 40 % par rapport à ceux du marché traditionnel.
Dans le 7ème arrondissement de Lyon, un autre projet en cours vise à offrir une centaine de logements en BRS dans le quartier prisé de Gerland.
La ville de Vaulx-en-Velin a également pris le tournant du BRS pour répondre à ses défis de développement urbain.
Si ce modèle continue de se développer, il pourrait jouer un rôle central dans la politique du logement abordable à Lyon, tout en inspirant d’autres métropoles en France.
Une réponse partielle mais prometteuse aux enjeux du logement
Aux termes de cette rapide analyse, il convient de relever que le Bail Réel Solidaire s’inscrit dans une démarche innovante pour répondre aux défis contemporains du logement, en particulier dans les zones tendues. Ce dispositif offre une alternative entre la location et la propriété traditionnelle, tout en permettant de maintenir des logements abordables sur le long terme. Toutefois, pour atteindre son plein potentiel, il est crucial d’augmenter la visibilité du BRS, de renforcer le soutien aux OFS, d’adapter et de simplifier le cadre réglementaire aux réalités.
Le BRS pourrait ainsi devenir un outil central dans les politiques de logement social et durable.
Toutefois, bien qu’il soit prometteur, le BRS ne peut, à lui seul, résoudre l’ensemble des défis du logement en France. Il existe d’autres pistes qui doivent être explorées en parallèle pour apporter une réponse globale et durable à la crise actuelle.